Telle est la magie du Vendée Globe. Certains marins partent pour gagner. D’autres partent pour partager une grande aventure et porter des valeurs. C’est le cas de Fabrice Amedeo qui prendra le départ de son troisième Vendée Globe le 10 novembre prochain. L’ancien journaliste a un bateau équipé de 3 capteurs océanographiques.
Le premier, appelé « Ocean Pack », permet de mesurer le CO2, la salinité et la température des océans. L’ensemble de ces données sont envoyées, à l’issues des campagnes de mesures, à l’Ifremer à Brest et à Geomar et Max Planck Institut en Allemagne, et sont par ailleurs intégrées à la base de données SOCAT afin d’être mises à la disposition de l’ensemble de la communauté scientifique internationale. Ces datas, qui aident à mieux comprendre les conséquences du réchauffement climatique sur l’océan, sont très recherchées par les scientifiques : elles sont réalisées à partir de bateaux à voile donc pures de toute pollution thermique à la différence des navires scientifiques qui sont souvent à moteur, et elles sont réalisées sur des routes sur lesquelles les bateaux scientifiques ne se rendent que très rarement. En effet, les missions scientifiques en Antarctique amènent souvent les navires scientifiques à descendre dans le grand sud puis à remonter en Europe, beaucoup plus rarement à réaliser le tour de l’Antarctique en passant par les trois caps : Bonne Espérance, Leeuwin et le Horn.
Le second capteur est un capteur de microplastiques. Équipé de filtres de 300 microns, 150 et 30 microns qui permettent de piéger différentes tailles de particules dans l’océan, il offre l’opportunité́ aux scientifiques de réaliser une étude fine et inédite sur la présence de microplastiques dans les grands espaces bleus que traverse le voilier Nexans ‐ Wewise. Le parcours tronqué de Fabrice Amedeo lors du Vendée Globe 2020 avec un arrêt en Afrique du Sud a permis de procéder à un maillage très précis de l’Atlantique et de réaliser une campagne de mesures qui a pu mesurer la présence importante de microplastiques mais également découvrir la présence de fibres de celluloses, c’est-à-dire essentiellement les textiles issus des eaux usées de nos machines à laver. L’objectif est maintenant de poursuivre cette campagne de mesures inédites dans les mers du sud l’hiver prochain.
Le troisième capteur qui vient compléter ce dispositif est un capteur d’ADN environnemental. Objectif : mesurer et cartographie la biodiversité marine à partir de l’ADN environnemental. L’ADN environnemental c’est tout l’ADN qui est relâché en permanence par les organismes dans leur milieu naturel par le biais d’excrétions (mucus, larves) et de sécrétions (fèces ou urine). Avec ce nouveau capteur développé par les équipes de l’institut Cawthron en Nouvelle Zélande et leur partenaire technique Sequench aux Etats-Unis, il est possible de filtrer l’eau de mer et d’obtenir rapidement une cartographie biologique précise de tous les organismes présents dans ce milieu, des virus jusqu’aux baleines. « Cette approche est révolutionnaire car elle permet de recenser la présence ou l’absence d’espèces rares ou en voie de disparition, mais aussi de détecter les espèces invasives et autre pathogènes. Faire l’inventaire du vivant permet de mesurer la santé de nos océans en temps quasi réel et donc d’en appréhender la dynamique due au changement climatique », explique Xavier Pochon, chercheur spécialisé dans la surveillance moléculaire et professeur associé en biologie marine à l’université d’Auckland. Passionné par l’ADN environnementale, il est à l’origine de ce projet. « Nous manquons cruellement de données biologiques provenant des quatre coins du monde », explique-t-il. « Nous disposons de modèles étonnants qui prédisent le changement climatique, mais aucun d'entre eux ne contient de données biologiques réelles collectées en mer. Si vous voulez donner un sens au changement climatique et comprendre comment les communautés de plancton évoluent, il est urgent et essentiel de rechercher des données spatio-temporelles solides ».
Fabrice Amedeo partira également sur le Vendée Globe avec 16 bouées Melodi dérivantes : ces bouées dérivantes éco-conçues développées par la start-up bretonne eOdyn, spécialisée en océanographie et analyse de données massives, permettent de mesurer le spectre et la hauteur des vagues, la température et les courants. « Dans les régions subtropicales, l’océan est convergent, ce qui veut dire qu’il y a une espère d’accumulation des déchets plastiques en surface, exactement sur le même processus que ceux que l’on retrouve dans la mer des Sargasses, dans l’océan Atlantique Nord, ou dans le Pacifique Nord, entre Hawaï et la Californie - le Great Pacific Garbage Patch, explique Christophe Maes, chargé de recherche à l’IRD (Institut de Recherche et de Développement). On soupçonne très fortement qu’il y en existe une au sud de l’Océan Indien mais on ne sait pas la localiser avec précision et on ne connait pas très bien sa dynamique, d’où l’intérêt de mettre un maximum de bouées à ce niveau-là ». Fabrice Amedeo larguera neuf bouées dans l’océan Indien, cinq dans le Pacifique Sud et deux en Atlantique après le passage du cap Horn.
Ce projet scientifique complet et inédit sur un Vendée Globe se poursuivra de retour à terre avec les analyses de filtres microplastiques à l’Ifremer et l’université de Bordeaux, les analyses de filtres d’ADN environnementales à Cawthron Institut en Nouvelle Zélande. L’investissement du skipper et de ses partenaires va également se poursuivre via son fonds de dotation Ocean Calling avec le financement d’un technicien à l’université de Bordeaux et l’Ifremer pour analyser les filtres issus des campagnes de mesures et, à terme, le financement d’un doctorat dédié à ces sujets.