Le tapis roulant promis aux solitaires des Sables – Les Açores – Les Sables, généré par un flux d’ouest, devrait promettre encore quelques belles glissades. Seul souci : pour monter sur le marchepied du train des dépressions qui courent sur l’Atlantique, il va falloir monter au delà de 40°N soit environ deux cent milles dans le nord de l’archipel des Açores. Et c’est là que se situe le dilemme : de combien faudra-t-il accepter de rallonger sa route avant de mettre le clignotant à droite ? A vouloir suivre trop tôt la route directe, on prend le risque de se faire engluer dans les petits airs générés par l’anticyclone des Açores. En cherchant à assurer en montant très nord, on peut aussi faire de la route en trop et prendre un retard que les gains de vitesse espérés ne combleront pas. Autant dire que les premières journées de course risquent d’être cruciales. De même l’arrivée sur les côtes de France ne sera pas des plus simples à négocier. Entre deux systèmes dépressionnaires, le golfe de Gascogne peut réserver des surprises. Certaines projections de route donnent ainsi une arrivée par le nord-ouest, avec un atterrage sur les côtes à hauteur de Belle-Ile. Ce qui implique ensuite, près de cent milles de navigation côtière, avec la gestion des obstacles, des courants et des brises thermiques, sans oublier le trafic maritime forcément plus dense près des côtes. Pas l’idéal quand on arrive de sept jours de mer et que l’on manque de sommeil.
Incertitudes en tête de flotte
Pour les leaders, la pression risque d’être forte. Il va falloir s’appliquer à s’extirper des griffes de l’anticyclone et savoir négocier au mieux le virage stratégique vers l’est. En prototype comme en série, les écarts entre les deux premiers sont suffisamment faibles pour impliquer quelques heures d’angoisse à bord. Il va falloir garder la tête froide quand le vent mollira brusquement, savoir analyser s’il faut infléchir à nouveau sa route vers le nord ou bien s’armer de patience et rester fidèle à sa ligne stratégique. Il y a fort à parier que les classements fournis par l’organisateur à la vacation de midi seront attendus avec une impatience parsemée de quelque parfum d’inquiétude. Jörg Riechers (Mare.de) comme Bertrand Delesne (Prati’Buches) savent qu’ils disposent d’un petit matelas d’avance sur leurs deux poursuivants Sébastien Rogues (Eole Génération GDF Suez) et Andrea Caracci (Speedy Maltese). Mais dans les conditions attendues, tout peut encore basculer. En série, le duel entre Davy Beaudart (Innovea Environnement) et Xavier Macaire (Starter) mobilisera toutes les attentions d’autant que Jean-Marc Allaire (Baker Tilly AG2R La Mondiale) reste sous la menace de Robert Rosenjacobson (NED 602) et Jean-Marie Oger (JMO Sailing). Stratégie conservatrice ou prise de risque, les choix seront cornéliens.
Rien à perdre fors l’honneur
Pour d’autres, cette étape aura l’allure d’une revanche sur le sort. Ce sera bien évidemment le cas pour Thomas Normand (Financière de l’Echiquier) ou Nicolas Boidevezi (GDE) qui voudront démontrer qu’ils avaient leur place dans le haut du classement de cette course, hormis leurs avatars techniques. Thomas, nouveau venu dans le circuit, appréhendait d’emblée cette course comme un banc d’essai avant la prochaine Transat 6,50 en septembre 2011. On apprend autant, si ce n’est plus, de ses échecs que de ses réussites. Le jeune skipper a pu ainsi mesurer combien le fait d’appartenir à une écurie professionnelle comme celle de Jean-Pierre Dick, ne dispensait pas de l’apprentissage d’une certaine autonomie. Tête bien faite, le jeune impétrant a d’ores et déjà retenu la leçon. Le prochain hiver se partagera entre entrainements nécessaires sur l’eau et perfectionnement de son bagage technologique de manière à pouvoir faire face en cas d’avarie. Nicolas, quant à lui, était totalement dans le coup avant de briser son bout-dehors sur la première étape. Une victoire de prestige lui permettrait de se rappeler au bon souvenir de ses concurrents. Pour les deux, une chose est certaine : toutes les prises de risques stratégiques sont autorisées et la tentation d’aller chercher des options radicales ne souffrira pas du syndrome du possédant qui a peur de tout perdre.
Pendules à l’heure
Enfin, pour d’autres, cette deuxième étape sera l’occasion de tourner la page d’une première étape pas toujours négociée au mieux. Entre erreurs stratégiques, difficultés à entrer dans le match, petites galères techniques ne permettant pas d’utiliser au mieux le potentiel du bateau, ils sont nombreux à attendre de cette étape une rédemption. Véronique Loisel (De l’espace pour la mer) souhaitera montrer que son caractère de battante mérite mieux qu’une étape pourrie par des soucis récurrents de pilote automatique. Amaury François (amauryfrancois.com), en tête du classement national provisoire des bateaux de série, voudra démontrer que cette première place ne doit rien au hasard, quand Jérôme Lecuna (I feel good), fort de la réparation effectuée sur son mât et des quelques jours d’escales à Horta, souhaitera faire la preuve que, débarrassé des problèmes de mise au point tardive de son bateau, il a la capacité d’aller titiller les ténors du classement.
Bref ! Tout ce petit monde a de bonnes raisons de croire en sa bonne étoile. Il reste à négocier huit jours de mer et une trajectoire qui n’a rien de très orthodoxe au regard des canons de la géométrie. Mais, on le sait bien : ce sont parfois les chemins les plus détournés qui permettent aux joueurs les plus retors de parvenir à mettre leurs adversaires échec et mat. Qui trouvera la bonne diagonale ? C’est toute la question de ce retour à la maison.