En course au large, tout le monde connaît le jeu de l'élastique : à un moment, les hommes de tête bénéficient de conditions plus favorables qui leur permettent de creuser des écarts sur la queue de peloton. Mais très souvent, à la faveur du passage d'un système météorologique, d'une renverse de courant, les forces se rééquilibrent et les gagnants de la veille deviennent les perdants du lendemain. Exceptionnellement, l'élastique se casse et les leaders s'enfuient sans espoirs de revanche pour leurs poursuivants. Même s'il est encore un peu tôt pour le dire, il semble bien que les conditions rencontrées sur ces deux premiers jours de course n'aient, jusque là, profité qu'aux hommes de tête qui se voient gratifiés d'un matelas confortable sur le reste de la flotte et peuvent ainsi se concentrer sur leur duel.
A midi, "Actual" et "Crêpes Wahou ! 3" entraient en mer du Nord. Vent faible, brume persistante, tout est réuni pour peser sur les nerfs des navigateurs ; dans ces conditions, l'équipage est mobilisé en permanence. Un barreur pour conserver la vitesse, un équipier sur le pont pour tenter de distinguer des yeux ou à l'oreille les éventuels cargos en route de collision et un navigateur l'oeil rivé sur l'écran de l'ordinateur pour veiller aux bancs de sable et anticiper les trajectoires des autres navires repérés grâce à l'AIS. L'AIS est une petite révolution dans le monde de la navigation au large puisque, couplé avec la VHF, il permet de distinguer sur la carte électronique, les trajectoires des navires et comble du luxe, leur nom, leur cargaison leur port de départ et leur destination. Encore, faut-il que les navires en question aient activé leur système, ce qui est loin d'être le cas de certains bâtiments sous pavillon de complaisance.
En corolle
Derrière les trois bateaux de tête, la lutte pour la quatrième place est âpre. Ils sont quatre à se tenir en moins de vingt milles sur des routes pour le moins divergentes. Au nord, Anne Caseneuve (Croisières Anne Caseneuve) a choisi d'aller chercher un peu plus de pression, quitte à rallonger sensiblement sa route. Au sud, Pierre Hingant (La mer révèle nos sens) table sur la route directe avec un certain bonheur. Le jeune officier de marine marchande et son équipage font preuve depuis le début de course d'un sens de l'opportunité tout en finesse et tirent un parti étonnant d'une des machines les plus éprouvées de la flotte. Opportunisme, telle est peut-être la principale qualité dont il faut savoir faire preuve en ce début de course. Etre capable de tirer parti d'une risée, anticiper sur une renverse de courant, profiter de conditions plus stables pour emmagasiner du sommeil en prévision d'heures plus incertaines, autant de petits détails qui, au bout du compte, se totalisent en milles gagnés ou perdus sur la route. C'est au prix de ces petits riens que se gagneront les places d'honneur à Saint-Pétersbourg. En attendant de danser avec les violons de la fête, il faut se contenter de musiques autrement plus mélancoliques.
Paroles de mer
Pierre Hingant (La mer révèle nos sens) à la vacation de midi
"Ça va très bien... Pour nous, le Pas de Calais, c'est encore loin. On vient juste de dépasser la pointe du Cotentin. On est allé chercher les courants portants dans le raz de Barfleur, du coup, on est sur le tapis roulant. La nuit précédente on a navigué juste en dessous du rail montant devant les Casquets. On a donc vu pas mal de cargos, mais tous de suffisamment loin pour ne pas être inquiétés. Question vie à bord, tout s'est calé naturellement. on est sur un système souple. Quand un équipier a besoin de récupérer il va le faire, on n'est pas vraiment sur des horaires de quart rigides. On essaye juste de faire attention les uns aux autres."
Franck-Yves Escoffier (Crêpes Whaou ! 3) à la vacation de midi
"Tout va bien. On a eu un passage du Pas de Calais un peu tendu, dans la pétole et la brume. Là, on vient de redémarrer. On avance à près de 16 noeuds sur le fond, mais on ne voit toujours pas grand-chose, il faut être très vigilant. Hier, on a fait une petite erreur de stratégie qui a permis à Actual de nous prendre quelques milles... mais la course est loin d'être finie, ils finiront bien par faire aussi quelques erreurs. Au niveau de la vie à bord, c'est parfait : on a un équipage très complémentaire avec Loïc (Escoffier) qui a un caractère plutôt jovial et n'arrête pas de nous raconter des blagues et Antoine (Koch) qui sait rester d'un calme imperturbable quelques soient les circonstances."
Classement le 18 mai à 16 heures (TU+2)
1 - Crêpes Whaou ! 3 (Franck-Yves Escoffier) à 1274,1 milles de l'arrivée
2 - Actual (Yves Le Blévec) à 1,6 milles du premier
3 - Crêpes Whaou ! 2 (Loïc Féquet) à 58,4 milles du premier
4 - La mer révèle -nos sens (Pierre Hingant) à 133,1 milles du premier
5 - Région Aquitaine Port-Médoc (Lalou Roucayrol) à 144,1 milles du premier
6 - Croisières Anne Caseneuve (Anne Caseneuve) à 144,9 milles du premier
7 - FenêtréA Cardinal (Erwan Le Roux) à 154,5 milles du premier
8 - CLM (Hervé Cléris) à 189,6 milles du premier
9 - PiR2 (Etienne Hochédé) à 251,7 milles du premier