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La publicité disparaît des écrans de France Télévisions

Depuis hier soir pour la première fois depuis quarante ans, Dame Publicité s'efface de la télévision publique. Disparition progressive, avec pour commencer une fermeture des tunnels de réclame entre 20 heures et 6 heures du matin



Fini les scories bateleuses, orchestrées par des trompettes et tambours annonçant couches-culottes qui absorbent mieux, liquides vaisselle qui adoucissent les mains, shampoings pour celles qui le valent bien.
La télévision idéale ?
On pourrait donc assister ce soir au lancement d'une télévision idéale. Mais n'est-ce point là une espérance naïve ? L'avant-goût donné par la diffusion récente en prime time de deux rendez-vous flagorneurs avec Carla Bruni et Bernard Tapie en tête de gondole est même inquiétant : cela semble anticiper un retour aux vieux démons consistant pour les dirigeants de la télévision publique à tenter de plaire à tout prix aux amis de l'Élysée. Et pour cause : c'est de la seule volonté de Nicolas Sarkozy qu'est venue la décision de supprimer la publicité et c'est lui seul qui tiendra en main, via le droit de nomination et de révocation, le sort du futur président de France Télévisions. Le fait qu'il soit éventuellement un homme d'ouverture n'y changera rien. Cette réforme menée par la gauche, la loi doit maintenant passer au tamis sourcilleux de la haute assemblée. Il n'est pas sûr que, dans son état actuel, elle réunisse une majorité. La toute-puissance élyséenne trouve là sa limite, dès lors qu'elle porte une décision qui n'était pas préparée et creuse les finances d'un État fauché comme les blés.
Le lancement se déroule aussi - et c'est une première - sans le moindre fondement législatif. Le conseil d'administration et son président Patrick de Carolis se sont passé la corde au cou en décidant eux-mêmes d'exclure la publicité des programmes. Pour rendre service au pouvoir jupitérien de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, mais également parce que le groupe public avait anticipé cette réforme depuis plusieurs mois dans ses grilles de programme et ne pouvait plus faire machine arrière.
Spots d'autopromotion
Cette capitulation fait qu'en ce premier lundi de janvier, à 20 h 35 précises, commencent les nouvelles soirées de France 2, France 3, France 4, France Ô (France 5 s'était déjà adaptée).
Depuis la mi-décembre, des spots d'autopromotion nous préviennent de régler nos montres « à l'heure de France Télévisions ». Pour l'occasion, le groupe public a souhaité un « nouvel habillage » qui traduit « de manière métaphorique la spécificité de chaque chaîne pour créer davantage de liens avec le public, la priorité de France Télévisions étant de placer les téléspectateurs au coeur de ses antennes ». Plusieurs agences de communication ont travaillé avec les directeurs artistiques des chaînes respectives. Compte tenu des rapports entre Patrick de Carolis et Nicolas Sarkozy, on appréciera le nom de l'agence choisie par France 2 : Ultimatum.
Le nerf de la guerre
Cela dit, l'habillage ne faisant pas le moine, c'est à la lecture des programmes des prochains mois que l'on jugera, d'une part des mésaventures de la réforme, si Tapie, Bigard, Clavier et autre supporteurs sarkoziens squattent les prime time à dose atomique, ou de ses bienfaits si le cahier des charges est respecté. Ce qui impose du spectacle vivant, de la musique et du théâtre à des heures de forte écoute. C'est-à-dire en tout début de soirée.
Mais, pour tenir les ambitions affichées, il faudra de l'argent ; et un des problèmes encore non résolus reste le financement. Appelés à mettre la main au portefeuille en contrepartie d'une abondance publicitaire prévisible, les concurrents commerciaux (TF1, M6) ont beaucoup pleuré misère. Leur contribution initiale a donc été divisée par deux. Or, pendant que les chaînes privées revigoreront leurs marges et doperont leurs cours de Bourse, France Télévisions court le risque de tomber exsangue, avec des heures de programmes en plus à financer et un budget en baisse. La solution d'augmenter la redevance reste exclue. Et ce, même si une hypocrisie récurrente la maintient depuis plusieurs années au même niveau de 116 euros. La commission mixte Assemblée-Sénat a choisi de l'indexer sur l'inflation, ce qui la porterait à 118 euros en 2009.
Internet sollicité
S'il est arc-bouté sur le prix de la redevance, le président de la République n'est guère ému en revanche que quelques millions soient pris aux Français abonnés à Internet, via une taxe de 0,9 % sur le chiffre d'affaires des fournisseurs d'accès (FAI). Non sans candeur, Christine Albanel, ministre de la Culture, affirmait que cette hausse ne serait pas répercutée sur les factures, compte tenu de la concurrence régnant sur le marché. Réponse : les fournisseurs, qui ne se sentent pas dans le rôle de moutons à tondre, inscriront le nouveau prélèvement, à l'encre rouge, sur les factures envoyées aux abonnés qui sauront donc à qui ils le doivent.
Ce 5 janvier ne marque donc pas la fermeture de la boîte de Pandore, dont la légende veut qu'elle ait livré au grand air tous les maux de l'humanité, ne gardant en elle que l'espérance.
Bien au contraire. Le débat parlementaire va se poursuivre sans tendresse au Sénat ; le personnel de France Télévisions se prépare à livrer bataille pour défendre emplois et statuts ; les producteurs de fictions et de documentaires se rongent les sangs ; la direction de France Télévisions sait qu'il lui manquera 135 millions d'euros en 2009. Seuls les actionnaires des chaînes privées se frottent les mains, devant le gâteau publicitaire qui leur tombe tout cuit malgré la crise.

Mardi 6 Janvier 2009 - 16:36
Jean-Claude Raveneau

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